Etudes de Philologie et d'Histoire
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Jusqu'au XVIIe siècle, les traités de médecine, réservés aux doctes s'écrivaient d'ordinaire en latin. Pour toucher un public plus large, our se conformer aux politiques princières de la langue ou pour participer au débat humaniste sur l'utilisation du vernaculaire, certains praticiens adoptèrent cependant la langue vulgaire: c'est un acte de rupture culturelle et sociale. Quels sont ces pionniers et à qui s'adressent-ils? Quelles sont les connaissances, nosologiques et thérapeutiques, qu'ils choisissent de partager avec leurs nouveaux lecteurs? A quelles stratégies stylistiques et rhétoriques recourent-ils? On découvrira les surprenantes affinités entre cette médecine, qu'elle soit française ou italienne, et ce qu'on appelle aujourd'hui la littérature. On découvrira aussi à quelles ruses recourent les auteurs pour intéresser et séduire soit les patients, soit le public croissant des amateurs. La médecine en langue vulgaire, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, est volontiers pittoresque et truculente. Ce livre n'est pas triste non plus.
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Publié en 1554, sans nom d’auteur, le Lazarillo de Tormès raconte, sous la forme d’une confession, les aventures juvéniles d’un crieur public qui s’estime parvenu au comble du bonheur en faisant ménage à trois avec la servante d’un archiprªtre. Mais, sous ces apparences facétieuses, se cache mal une satire de l’Espagne de Charles Quint, ce qui lui valut d’être mis à l’index en 1559. Aussi bien a-t-on été tenté d’y voir la main d’un écrivain érasmisant, mais les attributins récemment faites à Juan de Valdès ou à Juan Luis Vivès sont inconciliables avec la date de sa composition, qui a pu être fixée postérieurement à leur mort.
Cette objection ne vaut pas, par contre, pour Francisco de Enzinas qui, déjà célèbre dans les milieux de la Réforme par ses traductions de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin et du Nouveau Testament révisé par Erasme, projeta en 1548 de publier, par nécessité financière, un « livre en espagnol », que l’on a pris à tort pour une simple traduction du latin ou du grec. Selon l’hypothèse émise par Roland Labarre, il ne s’agissait de rien de moins que du Lazarillo de Tormès qui, resté à l’état de brouillon lorsque Enzinas mourut le 30 décembre 1552, aurait été acquis par le libraire Arnold Birckmann, lequel l’aurait lui-même grossièrement remanié avant de le remettre à l’imprimeur anversois Martin Nuyts. Ainsi s’expliqueraient les nombreuses erreurs des princeps auxquelles s’emploie à remédier l’édition de Roland Labarre.
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En moins d’une décennie, Giovanni Botero publie trois livres qui exerceront une influence majeure : Delle cause della grandezza delle città (1588), Della ragion di Stato (1589), Le Relazioni universali (1591-1596), comme le triptyque d’un miroir des princes renouvelé. A l’échelle de la ville, de l’Etat et enfin de la Terre, il porte son attention sur des objets nouveaux – le territoire, la population, la circulation des biens et des richesses, la géographie des rapports de force – promis au développement des sciences de l’homme. Il ne fonde pas seulement la littérature de la raison d’Etat, il conçoit une théorie de la croissance urbaine et invente bien des aspects de la géographie politique moderne, en redéfinissant la notion mªme de puissance : la force des Etats est déterminée par les dynamiques démographiques, économiques et géographiques, et l’on perçoit combien, tout en s’en inspirant, il se distingue de Machiavel. Dans ce siècle de fer, il cherche à faire pice aux doctrines juridico-politiques d’un Bodin, en fondant une pensée politique catholique qui propose des outils de gouvernement efficaces tout en maintenant les Etats sous la dépendance de l’autorité ecclésiastique. A l’âge de la mondialisation catholique, il trace le portrait politique d’un œcoumène qui a atteint les dimensions du globe.
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À côté de la masse des écrits publiés en français ou en latin depuis l’introduction de l’imprimerie en France, il existe toute une littérature rédigée dans les langues locales, dans les diverses formes de l’occitan (provençal, gascon, etc.) ou des dialectes d’oïl (poitevin, normand, etc.), en franco-provençal, en basque ou en breton. Ces œuvres, poétiques pour l’essentiel, posent la question du choix linguistique : alors que le français et le latin rivalisent comme champions de lexpression poétique, il est néanmoins des auteurs à faire le choix d’une langue locale a priori dépourvue de prestige. Jean-François Courouau, étudiant près de deux siècles de production, de 1490 à 1660, éclaire les motivations, principalent esthétiques, de poètes nourris de tradition savante mais soucieux d’intégrer dans leurs œuvres des éléments issus de la vie populaire. L’ensemble de cette littérature donne lieu à des œuvres originales, comme celles du toulousain Pierre Godolin (1580-1649) ou du rouennais David Ferrand (1590-1660) et constitue un chapitre largement méconnu de l’histoire littéraire et culturelle de la France.
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« Mais ce prince estoit un chef-d'œuvre de la nature; ce qu'il avoit de moins admirable, c'estoit d'être l'homme du monde le mieux fait et le plus beau. Ce qui le mettoit au-dessus des autres estoit une valeur incomparable, et un agréement dans son esprit, dans son visage et dans ses actions que l'on a jamais veu qu'à luy seul; il avoit un enjouement qui plaisoit également aux hommes et aux femmes, une adresse extraordinaire dans tous ses exercices, une manière de s'habiller qui estoit toujours suivie de tout le monde, sans pouvoir estre imitée, et enfin un air dans toute sa personne qui faisoit qu'on ne pouvoit regarder que luy dans tous les lieux où il paraissoit. » (Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, Droz, TLF 33, p. 10-11).
Jacques de Savoie-Nemours, duc du Genevois (1531-1585), chef de la branche cadette légitime de la dynastie savoyarde, était cousin d’Emmanuel-Philibert duc de Savoie. La relation qu’ils entretinrent généra une source de prestige pour Jacques, en tant qu’acteur politique indépendant, autant qu’elle instaura une entrave permanente à sa liberté de manœuvre. Homme de cour et chef de guerre parmi les plus illustres à la Renaissance, Jacques tenait en apanage le Genevois, duché qui, tout en symbolisant sa puissance dynastique, lui assurait les ressources nécessaires à ses activités militaires, politiques et lettrées, notamment à la cour de France. Matthew A. Vester retrace la fortune de Jacques de Savoie-Nemours au cœur d’un espace europ©en qui n’était normalement pas animé par des individus isolés, mais par les Maisons et leurs différents lignages, et dans lequel l’« Etat » ne jouait alors qu’un rôle politique secondaire.
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Ces quinze études réunies par les anciens doctorants, désormais des seiziémistes estimés, de François Rigolot, Meredith Howland Pyne Professor of French Literature à l’Université de Princeton, rendent hommage à ses qualités de professeur, de savant et d’homme qui incarne à la fois l’esprit généreux montaignien et le pantagruélisme rabelaisien. Récapitulant des sujets d’intérêt que partagent le magister et ses discipuli : la poésie, la Renaissance au féminin, Pétrarque, Scève, Ronsard, Crétin, Marguerite de Navarre, Louise Labé, Rabelais, Montaigne, La Boétie et Pascal, louant l’équilibre de l’imagination créatrice, de l’explication de texte rigoureuse et d’une exquise rhétorique personnelle, Esprit généreux, esprit pantagruélicque célèbre l’érudition du Professeur Rigolot, ses publications, ses compétences pédagogiques, son soutien inlassable auprès d’étudiants et de collègues, son leadership à l’Université de Princeton et sa personnalité toujours inspiratrice.ours inspiratrice.
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Agrippa d'Aubigné ou les misères du prophète explore les paradoxes qui s'attachent à la fonction prophétique. Parole absolue qui doit s'incarner dans les contingences de l'histoire, elle aliène son énonciateur, qui ne possède en général ni l'art, ni les prédispositions naturelles, ni l'envie pour en assumer la mission. Rêve de performativité et d'efficacité, le propos prophétique est avant tout le constat de son impuissance dans le présent, du rejet et de la suspicion qui caractérisent sa réception. Dans Les Tragiques, Aubigné estime la mission de sa parole à l'aide de figures, telles que celles de Jonas et Jérémie, exemplaires d'un prophétisme conçu sur le mode du tourment. La complexité de l'èthos prophétique albinéen se nourrit en outre de la place problématique qu'occupe le prophète dans l'ecclésiologie protestante, position vide qui ne laisse plus guère de champ qu'à des postures, comme le montrent les écrits de Luther, Calvin et Zwingli. Un problème de reconnaissance affecte le prophète, au point d'en devenir probablement une des caractéristiques intrinsèques. Si Agrippa d'Aubigné intègre cette donnée dans sa propre énonciation, il est remarquable que cette dernière perturbe aussi le discours critique sur son « prophétisme » dès la première réception des Tragiques au XIXe siècle.
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Les relations entre les traités démonologiques et la littérature, aux XVIe et XVIIe siècles, sont l’objet de ce volume. Il comprend aussi quelques développements, en amont – saint Augustin – et en aval – Léo Taxil et Collin de Plancy. Ces rapports concernent les transferts entre démonologie et littérature ainsi que les stratégies d’écriture des démonologues, souvent conscients de leurs effets. L’ouvrage questionne aussi le rapport de la démonologie à la fiction; la démonologie, à travers le débat qu’elle suscite, a en effet puissamment contribué à brouiller et à redéfinir la limite entre le possible et l’impossible, le vrai et le faux. Tel est l’enjeu majeur, dans l’histoire de la pensée au seuil de la modernité, de la «fiction de la sorcellerie», dispositif d’emprise dont la littérature capte la séduction et dont elle renforce aussi parfois l’efficacité.
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